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Les monnaies complémentaires locales : outils de développement local et de transition écologique

Qu’est ce qu’une monnaie locale ?

 

Une monnaie dite « locale » est un instrument de paiement qui ne peut être utilisé que sur un territoire restreint préalablement déterminé, comme une commune (le Bristol pound pour la ville de Bristol) ou une entité géographique particulière (la Pyrène pour l’Ariège).

 

Les monnaies locales sont généralement émises sous la forme de « billets » ou de coupons papier dont la valeur de départ est indexée sur l’euro et dont le taux reste fixe. Afin de faciliter les échanges et d’augmenter le montant des transactions, certaines MCL comme l’Eusko, dans les Pays Basques, cherchent également à se développer sous forme électronique.

 

Ces monnaies complémentaires peuvent être mises en place de manière ascendante, par un collectif de citoyens réunis en association qui en assure la conception des règles de fonctionnement, l’émission, le taux d’échange et la gestion, généralement en s’adossant à un établissement financier partenaire. Il arrive également qu’elle soit mise en place de manière descendante (institutionnelle), ce qui ne change rien au fonctionnement général du processus, mais dans la plupart des cas, il s’agit d’une initiative liant les deux modes de création : en général, une association soutenue par les institutions locales. Une fois que ce cadre fonctionnel est établi, les citoyens intéressés par l’utilisation de la MCL en tant que moyen de paiement sont ensuite invités, pour pouvoir acheter des unités de compte, à intégrer l’association.

 

Parallèlement, ladite association cherche à faire adhérer des entreprises et des commerçants à son système car c’est grâce à ce réseau de prestataires que les adhérents-consommateurs pourront faire leurs achats et utiliser leurs Euskos, Sols Violette, Abeilles et autre « devises » complémentaires.

Pour pouvoir être intégrés au réseau, les professionnels s’engagent généralement à orienter leurs pratiques dans un certains sens, à suivre certaines « valeurs » plus ou moins bien détaillées par l’association porteuse de la MCL. L’association Euskal Moneta, par exemple, incite ses prestataires à mettre en œuvre des « pratiques socialement et écologiquement responsables »[1]. Concrètement, les commerçants adhérents sont par exemple invités à privilégier un approvisionnement en produits locaux (favorisant de ce fait la réduction des émissions de gaz à effet de serre liés aux transports). Si l’entreprise n’est pas prestataire d’une activité lui permettant d’utiliser des produits locaux, elle doit alors s’engager à mettre en place un autre « défi écologique ». Comme Euskal Moneta, la plupart des MCL mettent en place des « chartes » avec les adhérents-commerçants de manière à orienter l’impact des échanges économiques dans un sens qu’elles jugent préférable. S’il n’existe pas vraiment de règles fixant le contenu de ces chartes à l’échelle nationale, on remarque que les idées les plus souvent mises en avant sont celles de respect de l’environnement, de redistribution des richesses et d’équité sociale.

 

Le but des MCL

 

Ces injonctions doivent être replacées dans le contexte plus général des buts que se fixent les différents MCL. Globalement parlant, la plupart des projets réalisés cherchent avant tout à dynamiser les échanges locaux.

De manière plus détaillée, le développement de l’économie locale passe d’abord par un soutien aux commerces et aux unités de production de proximité intégrées à la localité. C’est pourquoi, les supermarchés et hypermarchés ne sont pas admis en tant que prestataires.

Dans un deuxième temps, les MCL cherchent à dynamiser l’échange en évitant la thésaurisation : les monnaies locales ne peuvent pas être placées sous forme d’épargne, et ne produisent donc aucun intérêt. Les adhérents-consommateurs sont ainsi d’avantage incités à dépenser leur argent. Un certain nombre de monnaies vont plus loin dans cette incitation en programmant la déflation de leur monnaie. Concrètement, cela implique qu’elles intègrent une sorte de date de validité aux unités de compte émises. On dit de ces monnaies qu’elles sont « fondantes ». Par exemple, la Sol violette, la monnaie toulousaine, « fond » à un taux trimestriel de 2% ce qui signifie que si j’échange aujourd’hui 100 euros contre 100 Sols violettes et que je ne les dépense pas, dans trois mois, ces 100 sols ne vaudront plus que 98 euros. Pour maintenir l’équivalence de valeur, je me verrai donc obligée de rembourser la différence en la rachetant.

Enfin, en dernier lieu, certaines MCL cherchent à favoriser l’échange à un niveau plus global en améliorant la dimension sociale et solidaire des projets. L’Eusko, par exemple, a décidé de placer ses fonds de réserve dans un établissement bancaire solidaire. L’Epi Lorrain, quant à lui, utilise les fonds en euros pour proposer des micro-crédits solidaires afin de soutenir le développement de projets locaux. Lorsqu’ils ne servent pas à assurer le fonctionnement de la structure émettrice, les fonds récupérés par le produit de la fonte peuvent également servir à financer des projets sociaux au niveau de la localité.

 

Et ça marche ?

 

Actuellement, la France compte plus d’une vingtaine de MCL réparties sur tout le territoire, et de nombreux projets sont encore en phase de lancement. On peut parler d’un véritable effet de mode : sur les 22 monnaies complémentaires aujourd’hui en circulation en France, 17 ont été lancées ces quatre dernières années. A première vue, tous les participants semblent y trouver un intérêt : aubaine économique et reconnaissance du travail accompli pour les prestataires, espoir de redynamisation économique locale pour les institutions partenaires et les établissements de soutien financier, et réappropriation des moyens d’échanges pour les adhérents consommateurs. Malgré tout, du côté des consommateurs utilisateurs, les choses se corsent légèrement. Pour certains en effet, payer en MCL c’est « la même chose que l’euro » car il n’y a pas véritablement d’intérêt financier direct. Parfois, le fonctionnement « fondant » de la monnaie donne d’avantage l’impression que payer en MCL coute plus cher. En outre, même si, lorsque l’on considère le nombre de projets récemment lancés, l’engouement pour les MCL semble réel, la récence du phénomène ne permet pas encore d’en évaluer la performance et l’utilité économique locale et de vérifier si les objectifs fixés par les initiateurs de projets ont déjà porté leur fruit et si oui, dans quelle mesure.

 

Théoriquement, pourtant, les MCL apparaissent encore comme un fort levier de développement économique et de transition écologique. Comme le souligne K. Dittmer (2013, p. 2), « la nature de l’argent n’est pas neutre quant aux quois, aux pourquois, et aux comments de la production et de la consommation. La manière dont l’argent est investi détermine ce qui est réalisé dans la société et affecte la structure des prix, influençant ainsi le comportement de tous les participants dans l’économie ». Si l’on en croit Robertson (2012), aujourd’hui, le secteur bancaire, grâce aux intérêts de la dette, jouit du privilège de créer autour de 95% de la production de la masse monétaire ex nihilo, et influence ainsi fortement la direction prise par le système économique à l’échelle globale en contrôlant la manière dont l’argent entre en circulation et, concrètement, en donnant la préférence aux profits financiers à court-terme plutôt qu’à des profits sociaux à long-terme. Un certain nombre de réflexions sur la manière dont le secteur bancaire oriente l’économie suggère que la poursuite des buts de transition écologique et de justice sociale appellent à une réappropriation citoyenne de l’outil monétaire et à un changement dans la manière dont cet outil est mis à profit. Ces réflexions sont souvent à la genèse de la création des MCL, perçues comme des outils citoyens de réappropriation des systèmes d’échanges locaux engagés sur la voie de l’économie sociale et solidaire et comme des soutiens efficaces à la transition écologique qui permettent en outre, le cas échéant, de diminuer localement les effets des crises économiques qui pourraient survenir à une échelle plus globale. Reste à voir, avec un peu plus de recul, les résultats de ces initiatives. Affaire à suivre.

 

 

Pour aller plus loin.

Dittmer, K. (2013). Local currencies for purposive degrowth? A quality check of some proposals for changing money-as-usual. Journal of Cleaner Production, Vol. 54,  pp. 3–13.

Robertson, J., (2012). Future money: Breakdown or Breakthrough?. Green Books, Totnes.

 

 

[1] http://www.euskalmoneta.org/questions-reponses/, lien consulté le 06/02/15.

 

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