Repensons le management d'aujourd'hui: cas d'Amétis
Croissance, marge, performance, compétition, objectif, dépassement de soi… Voilà des mots que l’on retrouve très souvent dans le discours des enseignants de Grandes Ecoles et donc des actuels managers de moyennes et grandes entreprises… Des mots tant répétés et intégrés qu’ils semblent être vérité absolue, norme inconditionnelle à ne surtout pas remettre en cause. Pourtant, le résultat n’est pas toujours là : les équipes auront beau faire de leur mieux, il arrive souvent qu’ils soient rattrapés par un plan social (« mais tu comprends, nous devons rester compétitif, tu nous coûtes trop cher, les chinois sont bien meilleur marché ») ou par un joli burn-out. Malgré le tournant que prend notre société, la grande entreprise reste le modèle prôné et tant espéré… une sorte de fantasme qu’on espère assouvir.
Parallèlement à cette pensée dominante cohabite un autre management, un management dont le but est l’épanouissement de chacun et non pas l’obtention d’un % de marge en plus chaque mois. J’ai eu la chance de rencontrer Mr Hallé, le gérant et manager de la SCOP Amétis, coopérative d’activité et d’emploi. Le but de la coopérative est de proposer un cadre juridique à toute personne voulant créer sa propre activité : au lieu de créer une entreprise, la personne devient salariée d’Amétis. Elle peut alors s’appuyer sur des compétences diverses qu’elle n’a pas forcément elle-même, profiter d’une certaine sécurité d’emploi, tout en s’épanouissant dans sa propre activité.
Tous les principes de l’entreprise traditionnelle, véhiculés par le gérant/
manager, sont repensés :
Le juste équilibre remplace la croissance infinie : le but d’Amétis est
de permettre à ses salariés de faire perdurer leur activité, sans pression
de faire toujours plus. L’investissement à risque, la spéculation n’existent
pas chez Amétis. Pourquoi vouloir dégager toujours plus de bénéfice au
risque de tout perdre si l’on vit déjà correctement ? Cependant, si un
salarié veut faire évoluer son activité et que son chiffre d’affaire
augmente, il est libre de le faire et sa rémunération augmentera en
fonction. A lui de trouver le juste équilibre entre sa vie professionnelle
et sa vie personnelle, voire familiale.
La coopération remplace la compétition. Chaque mois, 10% du
chiffre d’affaire des salariés est reversé à la coopérative pour financer
le « socle commun » (principalement les différents services communs
mutualisés). Chacun peut apporter ses compétences à l’autre. De plus,
la rémunération d'un entrepreneur dépend de la marge que dégage
l'activité dont il est responsable. Si la marge diminue, le salaire
diminuera, sans passer sous la barre du Smic horaire. Si
malheureusement la marge devient négative, les causes sont
analysées. Si elles sont conjoncturelles et que des mesures correctrices sont possibles, Amétis prendra le risque et financera le maintien du salaire qui permettra de faire la soudure avec une reprise de l'activité et le redressement de la marge. Si les causes sont structurelles, Amétis sera amené à envisager un arrêt de l'activité et une rupture du contrat de travail avec l'entrepreneur. Les entrepreneurs salariés ne sont pas placer en situation de compétition entre eux. Chacun travail à son rythme, selon ses envies, ses besoins et ses contraintes. Tant que les équilibres économiques sont respectées, le rythme de chacun est bienvenu.
Le pouvoir démocratique remplace le pouvoir hiérarchique : Amétis étant une SCOP, tout salarié ayant décidé de devenir sociétaire associé aura le même pouvoir de décision que n’importe quel autre sociétaire associé. C’est le principe d’une personne = une voix.
L’autonomie et la responsabilité remplacent les règles imposées : chaque entrepreneur traduit sa dynamique personnelle en activité professionnelle viable. Il choisit combien d’heures il souhaite travailler, ses objectifs, ses partenaires… Amétis offre juste un cadre et un soutien pour que tout cela se passe au mieux.
Après avoir discuté avec Mr Hallé, je me suis posée la question des effets pervers que pouvait avoir ce modèle. En effet, certains salariés ne pourraient-ils pas profiter de la bonne santé des autres pour se laisser aller ? Comment procéder pour motiver sa grande équipe, aux activités et profils si différents ? Voici sa réponse :
Si l'entrepreneur ne trouve pas sa dynamique propre, l'activité professionnelle"
ne se développe pas. Certains ont besoin d'être stimulés à certains moments
ou dans certaines conditions. D'autres ont besoin d'être tempérés. Mon rôle de
"manager" s'exerce de manière particulière: il consiste avant tout à m'adapter
à la dynamique de chaque entrepreneur et lui apporter les éléments qu'il
peut intégrer pour améliorer sa pratique professionnelle, afin qu'il trouve lui
même son propre équilibre entre ce qui est souhaitable et ce qui est possible
du point de vue de l'organisation de son travail et de la rentabilité de son
activité. […] "Motiver les troupes" consiste donc en une relation de
proximité basée sur une information régulière, systématique et fiable sur la
réalité de l'activité. Donner l'information, la décrypter, la rendre accessible et
compréhensible permet d'alimenter le fait que chacun puisse prendre ses
propres décisions en conscience. Globalement personne ne "profite du système"
car il est complètement transparent et il n'y a donc aucun endroit pour se
cacher. Néanmoins, j'ai remarqué que certains entrepreneurs ont du mal
avec cette transparence, et quittent donc la coopérative de leur propre initiative.
La limite du système est donc peut être que si vous êtes dedans vous êtes obligé de jouer le jeu car les règles du jeu sont bien connues de tous et que ne pas les respecter se voit immédiatement, ce qui conduit rapidement celui qui ne les respecte pas à sortir du système, comme du temps de la démocratie athénienne. Là s'arrête la responsabilité de la coopérative. On ne peut pas obliger quelqu’un a coopérer, cela doit être le choix de chacun
Donc, pas vraiment de limite, puisque les règles sont connues dès le début. Pour en savoir plus sur Amétis
Il est bien dommage que ce mode de management ne soit pas plus connu et répandu. Le fait est que ces organisations sont encore peu nombreuses, et qu’il faut faire preuve de curiosité, sortir des sentiers battus pour aller à leur rencontre et voir comme elles resplendissent et vivent très bien… Le travail qui suivra sera de les enseigner aux petits étudiants des « Grandes » Ecoles et de leur faire comprendre qu’il y a beaucoup plus de satisfaction à obtenir en participant au bonheur de son équipe plutôt que de recevoir une plus grosse rémunération au détriment de cette même équipe.
Avec un peu de temps, le concept de « slow management » _ qui dans les grandes lignes correspond aux principes décrits ci-dessus_ pourrait s’introduire dans les PME voire plus grandes entreprises. Un premier pas serait par exemple de repenser les grilles d’évaluation au sein des moyennes et grandes entreprises : les grilles universelles seraient remplacées par une grille par projet car chacun d’entre eux fait appel à des connaissances et des compétences différentes, et est constitué de personnalités différentes. Cette grille d’évaluation pourrait être construite par l’équipe entière, et adaptée à chacun. Ainsi, le manager pourrait prendre connaissance des attentes de son équipe, et les manager individuellement. A la fin du projet, si le manager obtient une prime, il lui appartiendrait d’évaluer sa contribution à l’atteinte des objectifs et d’agir en conséquence. Un bon manager, content de son équipe, pourrait décider de leur reverser cette prime à la proportion qu’il trouve juste. Son propre mérite serait récompensé par le sentiment d’avoir “bien” agit. La récompense ne serait donc pas d’ordre pécuniaire mais plutôt de l’ordre de l’autosatisfaction.
A tous les étudiants de « Grande Ecoles», nous sommes considérés comme les futurs dirigeants, la future pensée dominante, alors incarnons ce futur manager intelligent, juste, éthique, prenant en considération l’écosystème dans son ensemble et non pas son intérêt individuel, nous aurons bien plus de mérite à faire cela plutôt que d’essayer de faire un perdurer un système bancal, qui d’ailleurs risque bien de s’effondrer…